Dignité

Ce matin, madame D a sonné quelques minutes après mon arrivée à l’hôpital, je suis donc allé voir dans sa chambre: elle avait besoin du bassin pour la grosse commission. J’ai déboutonné son pyjama, ai glissé le bassin en lui soulevant les fesses, ai attendu qu’elle re-sonne pour me dire qu’elle avait fini. J’ai mis deux bonnes minutes à revenir puisque je faisais autre chose à ce moment la, minutes ou elle attendait, les fesses souillées pendant lamentablement dans sa propre merde. Elle s’est tourné sur le côté, je l’ai essuyée avec du papier, du coton, divers produits. Ca a certainement été extrêmement humiliant pour elle. Ca n’a pas été particulièrement agréable pour moi.

En fin de matinée, vu que j’avais un trou paperasse (ça arrive deux fois par service, tout le monde s’arrête et écrit plein de trucs bizarres sur des papiers que de toute façon personne ne lira jamais) après la prise des 22 tensions, 22 températures et tout plein de diurèse, sat’ et tout ça (au bout de la 10ème tension, ce n’est plus très vraiment beaucoup rigolo du tout, mais je suis expert ès tension maintenant, je peux la deviner rien qu’en écoutant quand l’appareil s’arrête de dégonfler), j’ai discuté un peu avec cette dame et sa coloc’ d’hôpital qui sont les plus marrantes du service (sa voisine a essayé de me refiler un billet de 10€ juste parce que je l’avais accompagnée à sa consultation et attendu avec elle, preuve que ce ne doit pas être trop habituel).

On a parlé avec madame D de sa mobilité, elle m’a dit qu’elle avait peur de se déplacer. Je suis sorti de la chambre, ai ouvert la porte en face, et ai ramené un déambulateur. Madame D a eu un peu de mal mais s’est levée. Seule. Puis a été aux toilettes. Seule. Et ravie.

Personne n’avait pensé à lui amener un putain de déambulateur. On a lavé, changé, torché une personne capable de le faire presque seule.

Tout à l’heure, un aide-soignant s’est fait engueuler par une stomato-jsais-pas-quoi-jai-rien-compris parce qu’il n’avait pas aidé monsieur H à faire sa toilette. Monsieur H se débrouille très bien tout seul, ne demande pas d’aide, mais on devrait lui laver jambes, pieds et fesses. Effectivement, monsieur H à de gros oedèmes qui doivent rendre assez douloureux sa toilette des jambes. Mais… Ils n’ont pas le droit de se battre pour garder le plus longtemps possible leur indépendance? Quand je vois monsieur C, qui est plus que valide tant mentalement que physiquement, et qui se laisse complètement aller, demande à ce qu’on l’aide pour tout, demande un biberon (oui, en vrai il parait que ça s’appelle canard, mais un verre avec un embout qu’il faut téter, j’appelle ça un biberon pour vieux) pour boire… Je me dis que ceux qui veulent rester digne tant qu’ils le peuvent doivent être soutenus. Pas maternés. Ils ont probablement déjà assez peur de ce qui va leur arriver sans qu’on accélère le processus.

Sinon en vrac:

-Mon premier décès. Je n’étais pas la, c’était le matin. La veille, je lui faisais manger son dîner et me disais qu’elle allait mieux, elle me parlait un peu pour une fois et souriait. Appris de manière douce pendant les transmissions: « Bon ben madame N, paix à son âme! ». Bizarrement, pas eu trop de problèmes avec ça. Je revois juste sa tête parfois. Je crois que j’avais peur que ça arrive alors je m’étais préparé.

-Mon premier patient que je déteste: madame P m’a craché dessus en me visant, puis a craché sur l’élève infirmière qui a tenté de prendre le relais. J’aurais pensé à un simple syndrome de je-perds-total-la-boule, mais j’ai rencontré la famille qui m’a traité d’ « incompétent-pfffffffff-inutile-pfffffff » quand je leur ai expliqué (phrase que j’ai énormément répété pendant cette semaine et demie) que je ne savais pas, et j’ai cru qu’ils allaient pendre le médecin sur un pied à perf’ quand ils ont commencés à l’insulter pour rien. J’avais oublié qu’au delà de leur maladie, de leur état, il y avait des gens, donc des sympas, et des cons (même si c’est très schématique, ils avaient sans doute peur…).

-« On ne devrait jamais avoir à enterrer ses propres enfants ». Madame B a perdu son fils il y a quelques mois. Elle a pleuré, un peu. J’ai eu du mal à ne pas pleurer aussi en entendant l’histoire. Une rupture, une vie foutue en l’air, des médicaments, une visite un après midi…

-Je commence à savoir faire pleins de gestes. Mais pas poser un cathé. C’est les élèves infirmières qui s’en chargent, et quand j’ai demandé, elles m’ont dit que pas trop, parce que c’est difficile et que je risque de rater. Juste une question, vous avez appris comment mesdames les futures infirmières? Donc j’ai du m’entraîner sur un ami qui à fait pareil sur moi. Je suis une passoire.

4 commentaires
  1. K a dit:

    Salut !
    Je suis étudiante ide et je voulais juste te dire que j’prends beaucoup de plaisir à te lire,
    courage pour la suite 😉

  2. gaspy a dit:

    Salut !

    A propos de la pose de cathlons, t’inquiète pas c’est assez facile en fait. Moi j’ai posé mon premier sur un petit vieux qui avait juste une veine minuscule (déjà piqué à l’autre bras donc on n’avait pas le choix) et je m’en suis très bien sorti avec un petit bleu. Bon, j’ai peut-être eu un peu (beaucoup) de chance aussi ^^ Mais après j’en ai fait d’autres et ça allait, donc je considère que j’ai pris le coup de main (prétentieux moi ? pas du tout). Perso je trouve que le plus dur c’est de pas ressortir le cathlon en enlevant le mandrin… Essaie de demander vers la fin de ton stage, ils te laisseront faire je pense 😉 Et en attendant regarde faire autant que possible, moi sans me vanter j’ai réussi plusieurs trucs du premier coup parce que je les avais vus faire quinze fois avant.

    A part ça, tout à fait d’accord avec toi en ce qui concerne la dignité… je sais pas ce que t’en penses, mais je crois que prendre les gens pour des assistés ça aide certains soignants à pas se sentir dépassés face aux patients qui les déroutent. Je reconnais que parfois, c’est tentant de prendre les gens un peu pour des débiles histoire de se faciliter la vie. On a sûrement tous à faire ce choix un jour ou l’autre… Moi perso, j’ai choisi et j’essaie de m’y tenir !

    Dans le genre over-humiliant, un des deux patients atteint de SLA que j’ai vus dans le service où j’étais en juillet… était en fait une patiente en surpoids massif qui a eu tout soudain le besoin bien naturel d’aller à la selle. Mais pas sur le bassin, non non, trop facile ! Il a fallu la mettre sur le lèvre-malade pour l’installer sur la chaise-pot. Alors qu’elle avait déjà commencé à faire sur le bassin, puis s’était arrêté « en plein milieu » de l’opération. Je te laisse imaginer la pagaille. La pauvre dame était tellement humiliée après ça qu’elle en pleurait. Et moi j’essayais de lui faire manger à la petite cuiller une biscotte préalablement atomisée et trempée fragment par fragment dans du thé, vu qu’avec sa paralysie elle pouvait à peine déglutir. Je crois que cette patiente chuis pas près de l’oublier…

    Bon courage pour la suite de ton stage, j’espère qu’il sera aussi cool que le mien (qui dans l’ensemble était génial, mais moi aussi je raconte que ce qui va pas ^^).

  3. Poum a dit:

    Aaah la dignité des patients… si je me lance sur le sujet, j’ai pas fini.
    On pourrait déjà commencer par leur filer des blouses qui ne montrent pas toute leur anatomie, histoire de préserver un semblant d’intimité. Ou au moins les boutonner. Mais non, c’est plus pratique de les infantiliser en leur mettant ces horreurs à moitié ouvertes, on gagne 14 secondes quand on a pas les boutons à enlever.

  4. Comme partout je ne pense pas qu’il faille généraliser. Je n’ai fait jusqu’ici qu’un seul stage : le stage infirmier (aux urgences). A chaque fois, j’ai vu des infirmières, des aides soignants plutôt à l’écoute et respectant la dignité des patients, fermant systématiquement la porte lors des soins, aimables et très professionnels
    .
    Après, elles m’en ont beaucoup parlé de ça, qu’il fallait pas que je devienne un médecin qui laisse les gens nu sans couverture et la porte ouverte après leur consultation (hé oui apparemment, ça existe).

    J’ai lu aussi sur d’autre blog des articles qui parlent des visites de grands pontes de la chirurgie accompagnés de leur clique d’interne dans la chambre des patients en parlant d’eux presque comme s’ils n’étaient pas là.

    Alors oui, je n’y connais rien et j’en verrai surement beaucoup des situations dans le genre mais il ne faut pas oublier ceux qui ont gardé en tête constamment ce respect de la dignité tout en dénonçant comme ici (et à juste titre) ce qui ne va pas…

    En tout cas, j’adore la manière dont tu racontes ton expérience !

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