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Archives de Tag: Kurdistan oriental des plaines du sud

Je pousse la porte de l’amphi C.

Moi qui étais habitué à mon petit lycée de 200 personnes, j’en ai le triple devant moi. Je le savais, je m’étais un peu renseigné, ça fait drôle. L’impression de s’être trompé de porte et de se retrouver à un congrès de l’ONU, les avions en papier en plus. Sans compter qu’il y a un autre amphi en vidéotransmission,le fleuron de la technologie au service de l’éducation qui fonctionne seulement lors de l’alignement parfait de Venus et Jupiter si un écureuil volant traverse l’équateur en faisant un looping au même moment.

Ca fait du monde, et du monde plein de bonne volonté: ils sont la depuis 6h ce matin, et moi qui arrive la bouche en coeur à 7h59 me retrouve relégué au fin fond de la salle (j’apprendrais plus tard qu’on m’avait réservé une place devant mais j’avais toujours rêvé de suivre un cours derrière un poteau).

Le prof arrive donc pour un cours d’Anatomie. Oui, avec une majuscule, parce que l’Anatomie c’est trop la méga classe tu vois regarde le prof il a une blouse tu vois et il explique que c’est parce que l’Anatomie c’est une matière pratique tu vois (d’ailleurs j’ai passé deux ans à dessiner des schémas sans voir un corps humain ou un cadavre mais c’est trop pratique tu vois).

Bref le prof commence son cours de généralités, dessine au tableau et…

Ah, oui, au tableau. Je suis 50 mètres derrière lui, et il dessine sur un tableau vert tout bête ses schémas, ce qui explique les gens qui font la queue devant l’amphi depuis deux heures (la légende raconte que la major de l’année précédente était devant les amphis à 4h30 avec une chaise pliable, rien que de très normal) et s’entretuent pour obtenir une place au deuxième rang pour eux et leurs 50 amis (car ils s’organisent les fourbes, ils tournent et chacun réserve une place pour les autres, ce qui fait qu’une fois le système rodé tu arrives à 7h30 dans un amphi vide mais ou toutes les places sont « réservées » ce qui te donne de légères envies de massacre à la hache).

Donc je note, je note, je me rends compte que la clavicule c’est pas dans le pied (oui, mes connaissances en anatomie se résumaient à pied/jambes/zizi/tête/bras/mains), je me détruis les yeux, je copie discrètement sur mon voisin qui finit par s’en rendre compte et cache sa feuille (esprit d’entraide et de franche camaraderie) (il a raté médecine d’environ 500 places), et je finis par m’énerver tout seul pendant que le prof raconte sa centième anecdote sur son incroyable expérience humanitaire au kurdistan oriental du sud des plaines ou il a sauvé des milliers d’enfants d’une mort certaine rien qu’avec un scalpel rouillé.

Mais au final t’es content, parce que ça ressembles pas au lycée, tu as fait de l’Anatomie (au fait t’as juste appris trois os et deux organes mais bon), et en plus y’a une machine a café dans la fac avec du café-pas-cher-mais-si-tu-regardes-combien-t’as-dépensé-dans-l-année-tu-aurais-pu-arreter-la-famine-en-somalie.

Ca y est, tu es en médecine, tu es grand, tu es fort, le monde est à tes pieds, on t’envoie des soutiens-gorge par la poste, tu es plus beau que Georges Clooney et tu comptes venir en blouse la prochaine fois avec ton stétho autour du cou.

Sauf que oui mais non en fait.

Parce qu’après, il y a chimie.

L’enseignement de la chimie en médecine, c’est un peu comme te faire recopier 500 lignes en mandarin: c’est chiant, tu comprends rien et c’est complètement inutile sans explications et sans pratique. Toi qui te croyais complètement débarrassé de ces matières chiantes, paf on te claque dans les dents 20 formules à savoir par coeur mais qui ne te servirons que pendant une heure de concours. Ce qui fait qu’à la fin du semestre tu as accumulé une quantité impressionnante de connaissances plus inutiles les unes que les autres, tu sais calculer la vitesse instantanée d’un objet sur une pente variable constituée successivement par des cailloux, des rochers, du sable, de l’herbe, avec la force du vent qui change aux temps t1 et t2, mais tu ne sais pas ce qu’est un rhume.

La blouse, ce sera pour plus tard au fait.